L’Eco avec Navarro ! La chronique économique hebdomadaire d’Aloïs Navarro

Collectif Marianne

11 mars 2016

François Hollande et le gouvernement Valls auront poussé la servilité à Bruxelles à son paroxysme. La "loi travail", calque parfait des recommandations réalisées chaque année par la Commission européenne, est à la fois une grande régression et le reflet du désarmement complet des gouvernements nationaux.

L’Union européenne et ses relais nationaux zélés - qu’ils soient au gouvernement ou dans les médias - nous enjoignent de suivre les conseils avisés de Rajoy et Renzi, qui auraient courageusement dérégulé leurs marchés du travail respectifs, et en auraient récolté les fruits presque immédiatement.

Le mirage des exemples espagnols et italiens

Cette belle histoire ne résiste pourtant pas à l’analyse des faits. L’Espagne a certes créé plus de 500 000 emplois en 2015, mais après en avoir détruit 3,8 millions entre le pic de 2007 et mi-2014. Il est donc normal que son économie observe un « effet de récupération » comme le note l’OIT, sachant que l’Espagne a le deuxième taux d’inactivité le plus élevé de l’UE. De même, l’idée selon laquelle faciliter le licenciement permettrait d’embaucher davantage en CDI est battue en brèche puisque le taux d’embauche en contrats précaires (CDD et intérim) est resté le même qu’avant les réformes ou qu’avant la crise (70%). Et si on s’attaque à son poids dans l’emploi total, la part des contrats précaires, qui avoisinait les 23% mi-2013, atteint 25,2% en 2015. Les réformes Rajoy auraient donc eu l’effet inverse ! Ces réformes se sont également traduites par une augmentation de la part des emplois payés sous le salaire minimum (passée de 8% en 2008 à 13%) et par un ajustement brutal à la baisse (de l’ordre de 30 à 40%) des salaires pour les réembauches de personnes ayant perdu leur emploi. Est-ce bien un modèle pour la France ?

Quant au « jobs act » du sémillant Renzi, il serait hasardeux de le rendre responsable du léger mieux du chômage italien, qui doit bien plus à la baisse du nombre des actifs. L’Italie a en effet connu une sévère régression de son activité économique depuis l’introduction de l’euro puisque son PIB par habitant en 2015 est inférieur à celui de 1999. Alors oui, elle a légèrement renoué avec la croissance en 2015 (0,6%), mais ceci doit davantage à la baisse du prix du pétrole et de l’euro qu’aux actions de Renzi. L’effet des réformes Renzi se fait davantage ressentir sur les salaires, qui n’ont pas augmenté depuis un an, selon Eurostat.

Mais surtout, l’élément essentiel bien souvent gommé par les promoteurs du président du conseil italien, réside dans le véritable subventionnement des CDI mis en place. Ainsi, l’embauche d’un salarié en CDI «Renzi" permet à l’entreprise de recevoir l’équivalent d’un chèque de 8000 euros tous les ans pendant 3 ans. En effet, selon la banque d’Italie, c’est surtout ce subventionnement qui explique une part des créations d’emplois en 2015. Le CDI à « protection progressive » n’aurait contribué à créer qu’1% des nouveaux emplois.

Comme l’explique Patrick Artus, ces réformes se font au détriment de la productivité et donc de la croissance potentielle (ou de long terme). L’Italie connaît en réalité des « gains » de productivité négatifs, ce qui nécessite plus de main d’œuvre pour assurer le même niveau de production.

La loi El Khomri est donc une réforme faite en dépit du bon sens, qui ne peut s’attirer que les faveurs du Medef, seul gagnant de ces réformes, quand les petites entreprises sont laissées pour compte, voire méprisées.

Des effets délétères pour les salariés et les chômeurs français

L’effet de telles réformes en France, alors que son économie patauge dans un profond marasme, serait désastreux. En effet, l’économie française présente un déficit de productivité de l’ordre de 4 à 5%. Dès lors, on peut estimer le chômage déguisé (c’est à dire le nombre de salariés que les entreprises n’ont pas pu ou voulu licencier malgré la crise) à environ 600 000. La loi travail pourrait se traduire par le licenciement immédiat d’environ 100 000 à 200 000 personnes. Ceci est d’ailleurs corroboré par plusieurs études. Les économistes de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) montrent que les récentes réformes de dérégulation du marché du travail dans les pays développés ont diminué le taux d’emploi et augmenté le chômage. En effet, qui peut croire à une reprise de l’emploi par la facilitation des licenciements quand la récession structurelle n’incite pas les entreprises à l’embauche ?

De fait, la dérégulation accentue les pressions déflationnistes par la perte de pouvoir de négociation des salariés les moins qualifiés, ce qui entraîne une modération salariale. Ceci réduit donc les débouchés des entreprises et les incite à davantage licencier. C’est le « paradoxe de la flexibilité » mis en évidence par Eggerston et Krugman (2012).

La précarisation des salariés les amène donc à constituer une épargne de précaution face à la montée de l’incertitude, ce qui réduit leur consommation et donc la demande. De même, les difficultés d’accès au logement et au crédit bancaire s’aggravent.

Mais la Commission européenne n’en a cure, et vient de vertement réprimander le gouvernement français pour ne pas avoir assez œuvré en faveur de la modération salariale (ie : la baisse du pouvoir d’achat). A cause de l’Union européenne, la France dispose de moins en moins d’outils pour affronter de plus en plus de problèmes. La pierre angulaire de ce système étant la monnaie unique. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que, selon l’OIT, ce soit dans la zone euro que ce genre de réformes fut le plus entrepris.

Si la simplification et la clarification du code du travail sont salutaires, (ce que les entreprises demandent), elle ne doit pas se faire au détriment des salariés (surtout ceux les plus fragiles) et de leur protection (ce que les entreprises ne demandent pas). Une intéressante étude de la BCE montrait d’ailleurs que les principaux problèmes mis en avant par les chefs d’entreprise tenaient davantage à la faiblesse de la demande et aux perspectives médiocres qu’à la réglementation du travail (seulement 10ème contrainte évoquée).

Il est donc temps d’apporter de vraies réponses aux entreprises, tant au niveau macroéconomique en sortant de la pression déflationniste imposée par la monnaie unique, qu’au niveau microéconomique en allégeant une fiscalité de plus en plus injuste pour les TPE-PME.

Collectif Marianne

11 mars 2016

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