Migration : « si j’avais su ce qui m’attendait, je ne serais jamais parti. »

Dominique Bilde

Tribune libre

09 août 2018

Tribune libre de Dominique Bilde, Député français au Parlement européen, Conseillère régionale Grand Est

Ce lundi 6 août, le site internet InfoMigrants publiait un article sur la loi Asile et Immigration. L’article français se veut technique, informant du contenu de la loi. Il est intéressant de noter que des articles ont aussi été publiés en anglais, en perse et en pachtoune. Les Afghans et les Iraniens seraient-ils amateurs du droit français ? Visiblement, InfoMigrants ne se contente pas de relayer l’information mais procure aux migrants une connaissance juridique pour réussir au mieux leur migration.

Tout n’est cependant pas à jeter. Le mois dernier, le site publiait le témoignage d’un migrant illégal, ghanéen vivant désormais en Espagne. Si pour InfoMigrants le plus important à retenir est qu’il a obtenu un diplôme - titrant « Je suis arrivé en Espagne analphabète, aujourd’hui j’ai un master »[1] - bien d’autres choses sont à retenir de ce témoignage.

Le Ghanéen témoigne être parti de son pays à l’âge de 13 ans, en 2001. Il avait 18 ans quand il est arrivé à Barcelone. Un vrai calvaire dont il n’imaginait pas qu’il prendrait autant de temps. Une enfance gâchée à la poursuite d’une illusion.

Vanter la migration, c’est se bercer de cette même illusion. Celle qui profite notamment aux passeurs qui abusent de l’incrédulité des migrants : « Le passeur à qui j’ai donné 1 800 dollars [1 520 euros] en Libye m’avait affirmé que la traversée ne durerait que 45 minutes, c’était faux. Moi, je n’en savais rien, je l’ai cru. » Il raconte aussi qu’abandonné avec d’autres dans le désert ils ont dû payé un Tchadien pour qu’il les guide : « On a tous vidé nos poches pour lui donner ce qu’ils nous restaient. » Si l’on commence à en prendre conscience et que des hommes politiques comme Matteo Salvini en Italie prennent enfin la mesure de la situation, on ne peut qu’être en colère quand on sait que ce trafic existait déjà au début du siècle, soit avant même les guerres qui servent à prétendre que tous les migrants sont des réfugiés.

C’est le même aveuglement idéologique qui pousse à ne pas voir que derrière tout migrant un passeur est à l’œuvre et que la mer Méditerranée est devenue un cimetière, non par notre faute mais parce qu’elle est une frontière naturelle. Sinon pourquoi ne nous parle-t-on si peu de cette autre frontière naturelle qu’est le désert du Sahara ? Ce Ghanéen, lui, n’omet pas de le mentionner : « On a marché une vingtaine de jours dans le désert. C’était affreux. Nous n’avions pas d’eau et étions obligés de boire notre urine. Sur la route, on a croisé beaucoup de cadavres : plusieurs dizaines de corps laissés à l’abandon en plein désert. Ça aurait pu être moi ! La plupart des personnes qui m'accompagnaient sont aussi mortes en chemin : nous étions une cinquantaine au départ, seulement six sont sortis vivants du désert. »

Poursuivant un mirage, cela ne l’a conduit qu’à des cadavres. Il admet lui-même qu’il n’y a pas d’oasis au bout de cette route : « Il faut que les jeunes comprennent que la solution n’est pas de traverser le désert et de prendre la mer. Le paradis n’est pas en Europe mais en Afrique. Il n’y a pas de meilleur endroit que sa maison. »

On pourra rétorquer que sa situation est désormais bonne. Il avoue qu’il le doit à la chance : « J’ai eu beaucoup de chance car une famille espagnole m’a pris sous son aile. Les parents – qui ont trois enfants - sont devenus mes tuteurs ». N’en déplaise aux droits de l’hommistes, s’ils veulent vraiment aider les migrants, ils doivent les héberger chez eux et non pas se réfugier derrière l’État en le sommant de s’occuper de tout.

Certain que la solution est ailleurs il confesse : « si j’avais su ce qui m’attendait, je ne serais jamais parti. » Si convaincu qu’il a persuadé son frère de ne pas partir et qu’il tente aujourd’hui de faire de même avec tous ses compatriotes : « Je suis fier de mon parcours mais si c’était à refaire, je resterais chez moi. La meilleure chose que je puisse faire aujourd’hui c’est d’alerter les migrants de ne pas traverser le désert, ne pas prendre la mer et les aider à rester dans leur pays. » Au point de créer une association dans son pays d’origine afin de former les jeunes à l’informatique pour qu’ils restent au Ghana.

C’est dans ce même objectif que Marine Le Pen s’était engagée à porter l’aide publique au développement jusqu’à 0.7% du PIB lors de la campagne présidentielle (il était à 0.37% en 2016). N’est-il pas plus logique d’aider au développement des pays dont sont issus ces migrants plutôt que d’attendre qu’ils soient en Europe pour leur venir en aide ?

Si seulement nous pouvions tous prendre à notre tour conscience de l’illusion qui nous berce. Je peux comprendre mes compatriotes qui sont aveuglés par les médias qui diffusent une information biaisée. Mais je reste scandalisée devant l’inconséquence de ceux qui nous gouvernent. Scandalisée plus qu’étonnée car on le sait, derrière leur logorrhée pseudo-humanitaire, c’est le calcul économique qui prévaut. Derrière la chaleur contrefaite se cache une froideur égoïste. Quand Angela Merkel décide « d’accueillir » un million de migrants, le fait-elle par générosité ou parce que la population allemande est vieillissante ce qui pose un grave problème de main d’œuvre et de prise en charge des retraités ?

Alfred Sauvy, grand démographe, fondateur et premier directeur de l’Ined, écrivait dès 1946 : « L’accroissement de la natalité ne peut donc suffire pour que nous atteignons notre but [l’accroissement de la population française], pas plus du reste que la baisse de la mortalité. Il faut donc recourir aussi à l’immigration ».[2] Et, dans La Population, « Que sais-je ? » publié pour la première fois en 1944 et qui connut un immense succès, il développait : « [...] si un écart est constaté entre l’équilibre démographique (correspondant par exemple à une population stationnaire) et la situation réelle, et que l’on cherche à rétablir l’équilibre par l’immigration, on pourrait déterminer ainsi les nombres d’immigrants de chaque âge qu’il conviendrait de laisser entrer sur le territoire ».[3]

Pourtant, à la fin de sa vie, l’illustre démographe recommandait non plus seulement un contrôle démographique mais aussi une maîtrise des flux migratoires. Percevant le danger, il mettait en garde : « « N’ayez pas peur de la bombe, le péril vient d’ailleurs : bientôt, le contraste entre un jeune Sud débordant de vitalité et une Europe vieillissante sera insupportable. Inéluctablement alors, le Sud débordera vers le Nord, tandis que l’Europe, ce “petit cap de l’Asie”, déclinera peu à peu. » C’était en 1987, le titre de son œuvre était : L’Europe submergée. Sud-Nord dans 30 ans.[4] Nous y sommes.

 

[1] http://www.infomigrants.net/fr/story/9769/je-suis-arrive-en-espagne-analphabete-aujourd-hui-j-ai-un-master

[2] Robert Debré & Alfred Sauvy, Des Français pour la France, Paris, Gallimard, 1946.

[3] Alfred Sauvy, La Population, « Que sais-je ? », P.U.F., 1944, p.52.

[4] Alfred Sauvy, L’Europe submergée. Sud-Nord dans 30 ans, Paris, Dunod, 1987.

Dominique Bilde

Tribune libre

09 août 2018

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