Syrie-Yemen : les incohérences de la politique d’Emmanuel Macron

Eric Domard

Tribune libre

29 août 2018

Tribune libre d’Eric Domard

Syrie-Yemen : les incohérences de la politique d’Emmanuel Macron

A la conférence des ambassadeurs réunis à Paris, Emmanuel Macron a exposé sa vision de la politique étrangère et les objectifs de la diplomatie française dans les mois à venir.

Si la Syrie a occupé une part de son intervention militante, partiale et pour le moins réductrice au vu de l’extrême complexité de la situation, le drame silencieux qui se joue à quelque 2000 kilomètres de Damas, au Yémen, n’a pas retenu la moindre attention du président de la République.

Le Yemen, enlisé dans une guerre sans fin, au bilan déjà apocalyptique, plus de 10 000 morts, près de 3 millions de déplacés, 7 millions de personnes touchées par la famine, 1 million de personnes touchées par une épidémie de choléra, est renvoyé à plus tard, à une énième conférence internationale, mis de côté comme on pousse discrètement la poussière gênante sous le tapis.

D’une guerre civile à l’autre, Emmanuel Macron a montré les incohérences dramatiques de sa politique internationale et un alignement pour le moins inquiétant sur le « diplomatiquement correct », celui qui veut que dans certains conflits où entrent en jeu des intérêts économiques, la maxime des « trois petits singes » s’applique à la lettre : ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal.

Concentrant ses attaques sur le régime laïque de Damas qui poursuit sa reconquête victorieuse d’un pays tombé sous la coupe des djihadistes et des groupes islamistes les plus extrémistes, le président de la République s’est inquiété d’une nouvelle crise humanitaire de grande ampleur dans le cas d’une intervention de l’armée régulière syrienne contre le dernier bastion des insurgés d’Idleb.

Cette prétention à s’ériger en juge, à pointer du doigt de manière manichéenne et simpliste les responsables de la crise syrienne et à juger à la place du peuple syrien du destin du président Bachar Al-Assad dont le maintien au pouvoir « serait une erreur funeste », traduit cette détestable politique de l’ingérence à géométrie variable, qui nourrit le sentiment d’injustice et de colère des populations concernées.

Car, dénoncer à juste raison les conséquences humanitaires d’une intervention militaire peut s’entendre si dans le même temps, on fait preuve de la même compassion et de la même sévérité envers ceux qui sous d’autres latitudes plongent des populations dans le chaos des guerres civiles.

Emmanuel Macron n’a semble-t-il pas pris connaissance du rapport présenté par la mission d’experts mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU au Yémen, affirmant que les frappes de la coalition menée depuis septembre 2014 par l’Arabie Saoudite (dont le prince héritier Mohammed ben Salmane Al-Saoud a été reçu en grande pompe par Emmanuel Macron en avril) « ont causé le plus de victimes civiles directes » touchant des « zones résidentielles », des « marchés » et « même des installations médicales ».

Ce gouvernement qui, comme ses prédécesseurs, s’érige en gardien pointilleux de la défense des droits de l’homme dans le monde, n’a pas non plus froncé les sourcils quand le 9 août, au cœur de la fournaise yéménite, un raid aérien attribué à cette même coalition, a frappé un bus, tuant 40 enfants.

Des enfants qui ont encore payé le prix du sang il y a quelques jours dans une nouvelle frappe aérienne et qui selon les experts de l’ONU seraient utilisés par toutes les forces en présence « pour participer activement aux hostilités ».

Dans cette guerre infernale commencée en 2014 aux ramifications et enjeux complexes, les civils sont de plus condamnés à une mort lente par la mise en place de blocus maritimes et aériens imposés par la coalition et qui selon les experts de l’ONU peuvent être considérés comme des crimes de guerre au regard du droit international.

A la vue de cet état des lieux alarmant, que doit-on penser des propos d’Emmanuel Macron qui en introduction de son discours devant les ambassadeurs rappelait que dans « le monde tel qu’il va, la France agit, est attendue, porte sa voix » ?

Au Yemen, la voix de la France s’est tue, la pusillanimité s’est imposée et la politique étrangère de la France, son image, sa crédibilité resteront durablement marquées par cette approche incohérente, ce double langage, cette diplomatie de la duplicité d’un président de la République qui estime que le maintien du président syrien au pouvoir « serait une erreur funeste », mais qui en fin d’année, se rendra toute honte bue en Arabie Saoudite, parapher des contrats commerciaux d’une valeur de près de 15 milliards d’euros…

Eric Domard

Tribune libre

29 août 2018

>